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Ce fut une rencontre heureuse,
fructueuse, d’emblée amicale. Depuis longtemps en effet, je désirais
rencontrer le professeur émérite Martin
BERNAL, auteur de Black Athena, bientôt en trois
volumes, si l’on inclut la mordante réponse aux diverses critiques,
autant hasardeuses que superficielles. L’œuvre en traduction
française comporte jusqu’ici deux volumes.
La mère de Martin BERNAL, décédée il y a
deux ans, à un âge fort avancé, est la fille même d’Alan H.
GARDINER, le plus célèbre des grammairiens, en égyptologie. Martin
BERNAL est par conséquent le petit-fils direct de GARDINER. Le père
de Martin BERNAL fut physicien, ami des JOLIOT-CURIE. Et sur un ton
amical et sérieux à la fois : « J’ai donc beaucoup d’affinités
par ma famille, avec le professeur Cheikh Anta Diop ». La
conversation s’engagea, au petit déjeuner à deux :
Th. OBENGA : Pourquoi n’avoir pas
fait alors des études d’égyptologie, avec de tels liens familiaux ?
M. BERNAL : C’est qu’à l’époque,
j’étudiais le chinois, les sciences politiques et tant d’autres
choses.
Th. OBENGA : Avez-vous bien connu
GARDINER ?
M. BERNAL : Bien évidemment !
C’est mon grand-père. Ma mère avait ordonné à son père de remettre
un objet précieux, obtenu des fouilles en Égypte, à un musée
londonien ! L’objet en question provenait de la tombe de
Tout-Ankh-Amon, je crois. Et vous Cheikh Anta DIOP ?
Th. OBENGA : Je puis affirmer que
j’ai bien connu Cheikh Anta DIOP au plan des problématiques
historiques africaines et mondiales. Il prenait tout le temps
nécessaire pour répondre à mes questions, à mes interviews. Il le
faisait avec joie, plaisir, respectueux de mes naïvetés d’apprenti.
En fait, il voulait que je sois très technique, très précis, très
professionnel. Cheikh Anta DIOP était un véritable puits des savoirs
universels, aussi bien très compétent en philosophie, linguistique
comparée, histoire, sociologie, politique, égyptologie, belles
lettres, physique nucléaire, chimie, qu’en éloquence oratoire. Mais
le plus fascinant, est que Cheikh Anta DIOP, avec tant de savoirs,
était d’une humilité absolument exceptionnelle. J’ai été un peu
loquace !
M. BERNAL : Je comprends ! Vu le
contexte de l’époque, je devine que Cheikh Anta DIOP s’est beaucoup
confié à vous, étant presque seul étudiant africain en égyptologie à
l’époque.
Th. OBENGA : Les progrès ont été
très rapides depuis. J’ai maintenu presque seul la flamme. Le feu
est allumé un peu partout maintenant, sur le continent et en dehors
de celui-ci. Les professeurs A. M. LAM et B. SALL, à Dakar, font un
travail admirable qui porte déjà de beaux fruits. Changeons un peu
de sujet. Comment Black Athena a-t-il été perçu par la critique ?
M. BERNAL : La critique est
facile, convenue, peu critique elle-même. Elle m’a traité d’ «afrocentriste».
C’est de l’ignorance. La critique académique, universitaire, s’est
montrée très raciste, encore très attachée à des mythes culturels
vieillis, dépassés, de nature hégélienne. Mon traducteur français a
reçu des blâmes pour avoir entrepris de rendre accessible mon œuvre
au public francophone de l’hexagone et d’ailleurs. Mais nous devons
faire ce que nous avons à faire, avec détermination. Le troisième
volume de Black Athena porte sur la linguistique. Il verra le
jour fin 2006. Au fait, que pensez-vous de la famille « afro-asiatique »
?
Th. OBENGA : C’est une véritable
escroquerie scientifique, que cette affaire d’« afro-asiatique » ou
de « chamito-sémitique ». On y croit par réflexe pavlovien à cause
du conditionnement de certains cercles institutionnels. C’est tout.
Aucune démonstration probante. La linguistique comparée paraît
facile. Il ne s’agit pas de savoir si deux ou trois mots sont plus
ou moins identiques dans deux ou trois idiomes différents, même au
plan morphologique et sémantique. Il s’agit de faire le plus
difficile, le plus probant : rendre compte du système ancien en
analysant comparativement les identités et les discordances des
témoignages dûment identifiés, pour reprendre un maître en la
matière, Émile BENVENISTE. Tout le reste, en dehors de cette
rigoureuse méthodologie, n’est que fiction. L’afro-asiatique ou
chamito-sémitique serait justement un système ancien. Quel est-il
exactement ? Depuis 1844 aucun chercheur n’a répondu correctement à
cette question.
M. BERNAL : Il y a lieu de
distinguer en effet les problèmes strictement linguistiques des
problèmes de relations culturelles à travers le témoignage des
langues, des faits linguistiques.
Th. OBENGA : Je suis d’accord
tant qu’il ne s’agit pas de linguistique historique comparative. On
ne doit donc pas tirer de cela des conclusions qui ne s’imposent
pas. Il faut être très technique, très professionnel. Le conseil,
toujours d’actualité, de Cheikh Anta DIOP.
J’ai donc eu à rencontrer le professeur
Martin BERNAL, homme très savant, mais aussi très humble, le
vendredi 17 février 2006, à Fort Lauderdale, en Floride, à
l’occasion de la célébration de « Black History Month »,
organisée par plusieurs autorités politiques, administratives,
culturelles et universitaires de la place : Julie HUNTER, Carole
BOYCE-DAVIES, Ernestine RAY, Babacar M’BOW (d’après le programme du
symposium).
Avaient présenté des travaux à
l’occasion de ce symposium : Théophile OBENGA, Asa HILLIARD, Martin
BERNAL et Manu AMPIM.
Le jour avant, c’est-à-dire le 16
février 2006, j’avais fait une conférence académique à l’Université
Internationale de Floride (FIU) devant une assistance nombreuse,
mais triée sur le volet. C’était à Miami. Des entretiens eurent
également lieu avec des étudiants, des lycéens. Des ouvrages ont été
dédicacés. La revue ANKH et d’autres ouvrages édités par « KHEPERA »
furent présentés, commentés. L’égyptologie, selon les voies tracées
par Cheikh Anta DIOP, est désirée, ardemment, partout dans le monde.
C’est le travail seul qui compte, dans l’intégrité des principes
légués par Cheikh Anta DIOP lui-même.
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